30 novembre 2009

Sourde Egypte




Misère, clientelisme, corruption, terrorisme,... Cet inventaire à la Prévert très noir donne un avant-goût de ce que vous pourrez trouver dans l'Immeuble Yacoubian de Alaa el Aswany. Cet auteur nous fait découvrir une Egypte sourde aux maux de ses hommes, une Egypte qui étouffe les ambitions les plus nobles au profit des bassesses les plus minables. Un livre qui fait mal. Et pourtant tout n'est pas si simple, si caricatural, si tranché.


Bien sûr, la condition des femmes est révoltante, bien sûr le népotisme fait frémir, mais l'Egypte de l'Immeuble Yacoubian reste plus que ça. C'est une Egypte qui chante, qui fume, qui boit, qui aime, qui cherche. Une Egypte qui n'est pas celle des pyramides et des touristes, mais bien une Egypte du quotidien de la rue, au passage.


Ce roman plaira à ceux qui aiment comprendre les sociétés de l'intérieur. El Aswany est un reconstructeur d'ambiance de talents. On sent les odeurs, on entend les bruits du Caire. Il sait aussi faire se croiser les différents personnages avec subtilité, si bien qu'on voit se tisser le lien social, on le voit aussi se défaire, de pages en pages, tout en étant dans ce brouhaha de personnages qui font la vie d'un immeuble.


Ce roman intéressera ceux qui se penchent sur le devenir des êtres, dans leur lutte quotidienne pour se faire une place dans ce monde, que ce soit en passant par les études, la religion, les magouilles, l'amour. Ils pourront suivre Taha qui plonge dans l'islamisme. Azzam qui coule dans l'affairisme. Entre autres.
Je vous offre l'incipit: "Cent mètres à peine séparent le passage Bahlar où habite Zaki Dessouki de son bureau de l'immeuble Yacoubian, mais il met, tous les matins, une heure à les franchir car il lui faut saluer ses amis de la rue: les marchands de chaussures, et leur commis des deux sexes, les garçons de café, le personnel du cinéma, les habitués du magasin de café brésilien. Zaki bey connaît par leur nom jusqu'aux concierges, cireurs de souliers, mendiants et agents de la circulation. Il échange avec eux salutations et nouvelles. C'est un des plus anciens habitants de la rue Soliman-Pacha."


Ce livre est aussi l'occasion pour moi de lancer deux nouvelles rubriques: celle intitulée "romans d'immeuble" et celle intitulée "découvrir un pays". La première vous plongera dans des histoires qui sont construites autour d'un immeuble, dans des lieux et époques différentes. La deuxième vous permettra de vous plonger dans la découverte d'un pays, par l'écriture. Encore plus d'entrées possibles pour vous fidèles lecteurs dans le monde des romans d'ici ou d'ailleurs, à la recherche de petites pépites à partager! Vue pan-or-amique garantie!

21 novembre 2009

Anti long fleuve tranquille...




C'est comme un conte de fées mais à l'envers. Un conte de fées du désespoir. Un univers où les tartines beurrées tombent toujours du mauvais côté, où l'on se prend les pieds dans le tapis. Une sorte de livre de Job contemporain. Vous savez ce passage de la bible où le diable dit à Dieu que Job a la foi parce qu'il a tout. C'est alors que Dieu le prive de chacun de ses petits bonheurs, pour prouver au diable qu'il continuera à croire même dans la pire situation... Mais ici point de Dieu, point de Job. Mais une femme, Jane. Une héroïne hors du commun. Pour ce roman Quitter le monde.


Jane va nous montrer sa vulnérabilité, mais surtout sa force. Sa volonté. Sa liberté. Jusqu'au bout. Jane va porter ce récit à elle seule. Un personnage qu'on n'oublie pas.


C'était mon premier Douglas Kennedy après tant de recommandations de mes amies. J'avais comme une sorte de peur du bestseller. Et en fait, j'ai trouvé ça très bien mené. J'ai pensé également que ce roman transmettait une certaine énergie, contrairement à ce que l'on pourrait croire en lisant le résumé. (Je vous conseille d'ailleurs de ne pas lire la quatrième de couverture avant de commencer!)


Ce livre jette un regard intéressant sur l'Amérique:


"Nous sommes tous obnubilés par le désir d'arranger les choses, au point de nous persuader que nous sommes capables de rectifier le cours de la vie. 'Jeter des ponts', 'tendre la main', 'arrondir les angles': le lexique de l'Amérique moderne est hanté par le besoin de réconciliation, car nous sommes le pays 'où tout est possible', pas vrai? Nous nous faisons fort d'esquiver la tragédie, de combler l'abîme insurmontable qui se creuse si souvent entre les êtres humains, de comprendre l'incompréhension..."


Un roman pour ceux qui s'intéressent aux parcours de vie...


Un roman qui donne envie de lire Melville, Hemingway et d'écouter Brückner.


Merci Anne-Laure de me l'avoir prêté!!!!


Un dernier extrait pour la route:


"Le souvenir d'une nuit blanche en particulier, des mois auparavant, s'est dégagé je ne sais pourquoi du fouillis de ma mémoire. tourmentée par ma peine, environnée de ténèbres, je m'étais levée pour aller m'asseoir devant mon ordinateur et parcourir le cyberespace pendant des heures, sans but, jusqu'à ce que le jour revienne enfin. Brusquement, j'avais tapé sur Google le mot 'incertitude'. Sur une impulsion. Au milieu des dizaines de pages qui s'affichaient, à l'écran j'avais repéré un nom qui ne m'était pas inconnu: Werner Heisenberg. C'est le mathématicien et physicien allemand à qui revenait la parité du principe d'incertitude: en considérant une particule donnée, on ne peut jamais connaitre à la fois, sa position et sa vitesse. C'est l'une ou l'autre. Telle est l'indétermination de tout fragment de vie."

16 novembre 2009

Meurtre à Fjällbacka




Tout commence quand un pêcheur remonte le corps d'une petite fille noyée au lieu de son casier à homards. Et Camilla Läckberg nous embarque directe sur la piste d'un tueur très mystérieux, dans l'ambiance tendue et nuageuse d'un petit village suédois, Fjällbacka, que les habitués de l'auteur connaissent bien!

Ce sont à nouveau Erika et Patrick qui mènent l'enquête, enfin cette fois-ci, peut-être quand même plus Patrick, car Erika vient d'avoir une petite Maja, et qu'elle est très occupée à alaiter...

C'est donc dans la droite ligne de La princesse des glaces, et du Prédicateur. Et ça s'appelle le tailleur de pierre.

Ce sont les mêmes outils narratifs: Camilla Läckberg nous présente des personnages qui en savent plus que nous, et nous tient en haleine au maximum avant de nous révéler leur petits secrets. On suit le point de vue de différents acteurs du drame par petites séquences successives, sans trop savoir toujours quels liens il existe entre les différentes histoires. Et tout d'un coup tout prend forme. Et l'on comprend l'inavouable, le terrible, le cruel.

Un roman à conseiller à tous les amateurs de polars à la Millenium.

Un roman qu'on lit en deux jours, scotché à son fauteuil ou à son lit, jusqu'à pas d'heures!

Bref, avis à ceux qui ont de longs trajets en perspective, ou qui veulent tout simplement se faire un week-end cocooning palpitant!

13 novembre 2009

Intense Irlande




J'étais à un mariage à Naples, quand une Irlandaise à la retraite m'a conseillé de lire Le testament caché de Sebastian Barry. Elle m'a dit que je découvrirais une histoire bouleversante, et que je pourrais comprendre l'Irlande un peu mieux... Et quel cadeau elle m'a fait! Ce roman est un trésor!

Il est si bien écrit (et traduit) qu'on a envie de le lire tout doucement, intensément. De ne pas en manquer une miette.

Ce sont deux journaux intimes qui se répondent et se font écho. Celui d'une vieille dame centenaire dans un asile psychiatrique, et celui de son médecin.

Roseanne, la patiente, a un regard si aiguisé sur la vie qu'on a envie de continuer à l'écouter nous raconter son histoire: son enfance, ses parents, son mariage, sa déchéance, son exclusion, ses douleurs. Ses paroles sont si justes et son témoignage est si touchant, qu'on est emporté comme par une grande vague.

Tant de passages m'ont marquée comme celui-ci: "Certaines choses changent à l'allure des hommes devant nos yeux, mais d'autres changent selon des arcs si grands que c'en est invisible. Le bébé voit une étoile clignoter à la fenêtre dans la nuit noire et tend la main pour l'attraper. De la même manière, mon père s'efforçait de saisir des choses qui étaient en réalité hors de sa portée et qui, quand leur lumière lui parvenait, étaient déjà anciennes et terminées."

Ou celui-là: " Je dois avouer que certains souvenirs dans ma tête me semblent étranges à moi aussi. Je n'aimerais pas avoir à le dire au Docteur Grene. La mémoire, il me faut le croire, si elle est délaissée devient une sorte de pièce remplie de boîtes ou un débarras dans une vielle maison, son contenu est tout mélangé, peut-être pas seulement par négligence mais aussi à force d'y chercher au petit bonheur, et par-dessus le marché, d'y jeter des choses qui n'ont rien à y faire."

C'est beau cette femme qui écrit en cachette, qui cherche à fouiller les méandres de sa vie passée, avec modestie et pudeur.

Quant au Docteur, il est lui aussi plongé dans des eaux troubles car il a pas mal de soucis avec sa femme, et parce que son asile doit fermer car trop vétuste. Il doit donc évaluer les patients pour savoir où les dispatcher. Or il n'arrive pas à cerner Roseanne, la centenaire si discrète et belle dans sa vieillesse. Elle lui est un mystère qu'il va essayer de percer.

Sebastian Barry nous livre un roman magistral, prenant, riche. Il nous permet de découvrir son pays l'Irlande avec talent. Son roman est une fresque sensible qui donne à sentir un monde d'hier, pris dans les tourmentes, les guerres, les religions, les pressions sociales.

Je conseille ce roman à tous ceux qui s'interrogent sur la mémoire, le passé et ce qu'on en fait.

Je recommande le livre à ceux qui aiment les yeux scintillants des mamies qu'on n'oublie pas.

Pour moi, certainement, une de mes plus belles lectures des derniers mois, avec D'autres vies que la mienne.

08 novembre 2009

Histoires de femmes


C'est un concentré d'histoires de femmes écrit par Rebecca Wells. Celles d'une fille, de sa mère, et de la mère de cette dernière, mais surtout l'histoire d'un groupe de copines à la vie à la mort surnommées les Ya-Ya, d'où le titre: Les divins secrets des petites Ya-Ya.


Tout commence quand Siddy, metteur en scène à succès, découvre avec horreur une chronique du Sunday New York Times consacrée aux liens avec sa mère... Quand on sait que celle-ci alcoolique l'a battue, on comprend la peine que cause l'article à la mère et à la fille. Ce roman, c'est toute leur histoire, une tentative de comprendre l'alcool, les coups, les douleurs, de Siddy, de sa mère Vivi, et de la mère de sa mère, Buggy. Et ce par l'entremise des carnets de souvenirs de Vivi et de ses amies intitulés les divins secrets des petites Ya-Ya. On trouve de tout dans ce pêle-mêle de souvenirs abimé, une clé, de vieilles lettres, des photographies usées par le temps, des bouts de gâteau, des anecdotes, etc.


C'est alors une plongée dans les années Shirley Temple, les années Billy Holiday, les années Autant en emporte le vent, et j'en passe. Une plongée dans l'histoire de l'Amérique en guerre, et son après, les années 60 jusqu'à nos jours. Une plongée dans l'histoire de la Louisiane, d'où est originaire Rebecca Wells, l'auteur.


La traduction française n'a rien d'exceptionnel dans le style, mais on se laisse emporter par l'histoire de ces amitiés féminines intenses.


Je pense que chacune des lectrices sera touchée par des moments différents du roman, tous les épisodes de vie collectés formant un patchwork très détonnant et surprenant. Et je crois que toutes y trouveront des étincelles de bonheur et de partage. Une main sur l'épaule.


C'est aussi un roman sur le pardon. Sur le devenir adulte. Sur l'Amour avec un grand A. Un amour pas égal, pas sans effort, et pas sans douleur.
En exergue du roman on trouve ces mots qui le qualifient bien je trouve:
"Nous ne naissons pas d'un seul coup, mais par petites touches. D'abord le corps, ensuite l'esprit... Nos mères sont déchirées par les douleurs de notre naissance physique, tandis que nous subissons les longues souffrances de notre croissance spirituelle. Mary Antin"
Je pense que ce livre plaira à ceux qui ont aimé Ligne de failles de Nancy Huston.

05 novembre 2009

Petites lettres et grandes émotions




C'est un tout petit livre, qui se lit très vite, et qui se glisse facilement dans un sac: Un homme à distance de Katherine Pancol. Il raconte les liens entre une libraire à Fécamp et un mystérieux homme américain acheteur passionné de livres. Peu à peu la liaison se fait moins professionnelle et plus émotionnelle pour le meilleur et pour le pire.

Au-delà du fait que les mots coulent tout seul, ce roman a l'avantage de donner tout plein de conseils de lecture, car les livres sur lesquels échangent les deux héros existent bel et bien.

C'est un petit roman pour ceux qui ont aimé Le cercle littéraire des amateurs d'épluchures de patates, et autres romans épistolaires.

C'est un petit roman pour ceux qui aiment les livres dont les libraires sont les héros, comme le libraire.

C'est un roman pour les pressés, qui veulent juste s'aérer l'esprit l'espace d'un instant.

Un extrait:

" Est-ce qu'on sait tout de l'autre quand on aime les mêmes livres? Est-ce que les livres sont un moyen de tout se dire, même l'inavoué, le plus terrible secret? Si vous m'aviez parlé de livres qui m'indiffèrent, si je vous avais énoncé des titres qui vous laissent froid, auriez-vous pensé à moi comme si vous saviez tout de moi?"

03 novembre 2009

Une Australie sombre...




Si vous souhaitez découvrir l'Australie, ce roman policier est pour vous: L'homme chauve-souris de Jo Nesbo. Non seulement vous pourrez vous promener dans Sydney, devant l'opéra, dans l'arrière-pays, mais vous aurez aussi une vue imprenable sur la noirceur qui peut régner ici ou là: le monde des drogués, des alcooliques, des boxeurs, des prostituées, des gens du cirque, etc. C'est une plongée dans les bas fonds qui permet de mieux comprendre les enjeux sociaux d'intégration mais aussi l'histoire de cette contrée lointaine.

D'ailleurs l'intrigue rondement menée est construite elle-même sur le modèle d'un conte aborigène.

Ce roman policier est le premier d'une longue série qui fut honorée par la critique à sa sortie, et qui donna à Jo Nesbo le statut d'auteurs de polar reconnu qu'il a aujourd'hui. Son inspecteur mythique c'est Harry Hole. Un ancien alcoolique qui essaie de garder la tête haute pour affronter des affaires de crimes.

Dans l'homme chauve-souris, une jeune norvégienne est retrouvée violée et tuée. Du coup, la Norvège mandate l'inspecteur Hole pour qu'il travaille avec ses collègues australiens sur le cas. Il va alors avoir comme partenaire un agent de police aborigène, qui va l'initier au pays mais aussi aux horreurs du monde et à ses mystères. Un tandem de choc qui va faire avancer l'intrigue avec talent, et non sans rebondissement!

La première particularité de Jo Nesbo est de réussir à combiner le suspense avec une réelle découverte culturelle d'un pays. Tous les amateurs des relations multi-culturelles s'y retrouveront!

La deuxième particularité de Jo Nesbo, c'est d'avoir créé un inspecteur très humain, avec plus de failles et de faiblesses que de force. Un peu à la Adamsberg de Fred Vargas, mais en encore plus perdu et noir, en encore plus blessé...

Enfin, j'ai aimé qu'il intègre des bouts de contes et de mythologie australienne au roman. Ca lui donne tout son charme!

Un bémol peut-être: le triste sort des femmes dans le livre...